Le blog de Yannick LE MOING

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«Même en prison, on peut allumer une bougie»

Publié par Amnesty International sur 26 Mai 2014, 15:59pm

Catégories : #Société et Environnement

Par Waleed Abu al Khair, avocat saoudien spécialisé dans la défense des droits humains, qui a été arrêté le mois dernier à l’issue de la cinquième audience de son procès, où il était jugé pour « déloyauté et désobéissance envers le souverain » et pour outrage aux autorités, entre autres charges. Il a rédigé ces lignes avant d’être placé en détention.

Écrire avant d’être incarcéré, c’est un peu comme dire adieu à ses proches avant de partir en mission – une mission difficile, risquée, à plusieurs milliers de kilomètres de chez vous. Vous ne savez pas si vous reviendrez ou si vous les reverrez un jour !

J’écris ces lignes en attendant le moment où la police va me convoquer pour que je purge une peine d’emprisonnement de trois mois. Celle-ci pourrait durer pendant des années, dans l’attente de la décision qui sera rendue dans une autre affaire où je dois répondre d’accusations politiques plus graves.

Les idées se bousculent dans ma tête, ne laissant pourtant sur la page que quelques mots forts, directs et honnêtes. Ce sont ces mots mêmes qui m’étaient venus en tête il y a sept ans de cela, alors que j’entamais mon combat en faveur de la défense des droits.

« Est-ce que j’éprouve de la haine à l’égard de certaines personnes ? »

Je pense en particulier à celles qui m’ont insulté et ont insulté ma famille, tenant des propos particulièrement orduriers lors des enquêtes. Est-ce que j’éprouve de la haine à l’égard de celles qui m’ont interdit de voyager pendant plusieurs années sans motif juridique ?

Est-ce que j’éprouve de la haine à l’égard du juge qui a ordonné mon incarcération, simplement parce que j’ai signé une déclaration en faveur de procès équitables ?

Ou dois-je éprouver de la haine à l’égard du prince, dont les émissaires ont systématiquement menacé pendant des années de me jeter en prison si je ne signais pas une déclaration sous serment ?

Est-ce que j’éprouve de la haine à l’égard des religieux qui ont rédigé pour les services de sécurité d’odieux rapports, truffés de mensonges, à mon sujet, soutenant que j’étais un apostat ?

Ou dois-je éprouver de la haine à l’égard des personnes qui ont dissimulé leur identité sous un faux nom dans les médias pour pouvoir mentir au sujet de ma famille et de moi-même et nuire davantage encore à ma réputation ?

Cherchant au plus profond de moi-même, je découvre que je n’en veux à personne. Je prends conscience que j’éprouve davantage de la pitié pour tous ces gens, de la même façon que j’éprouve de la pitié pour ceux qui ont renoncé à leur liberté, à l’image d’un alcoolique qui erre sans but après avoir laissé la bouteille prendre le pas sur son esprit.

Je me demande si je suis prêt à affronter ce qui m’attend. À ce moment précis, les raisons qui justifient mon action sont bien présentes dans mon esprit et je sais que la vie a une finalité, que ceux qui ont cherché à atteindre de nobles buts dans leur vie ont davantage été à même de faire face aux difficultés qui se sont présentées et de les surmonter. Je suis conscient que, si j’oublie ces raisons, je mourrais. Au mieux, je serai sur une mauvaise pente. En Arabie saoudite, nous devons relever un défi particulier, celui de vivre librement, d’être maître de soi et de défendre les droits humains face à un pouvoir politique qui emploie toutes les ressources et moyens dont il dispose pour régir l’appareil judiciaire et ainsi vous envoyer en prison et vous réduire au silence. Ce n’est cependant pas le seul défi qui se pose. Nous sommes confrontés à un problème de société bien plus grave, car nous sommes les principales victimes de l’extrémisme et de la stagnation, une situation que les autorités politiques souhaitent perpétuer pour renforcer leur légitimité. Elles combattent ces problèmes tout en veillant à ce qu’ils restent une réalité pour nous donner le sentiment que la société ne pourra jamais se passer d’elles. Elles espèrent prouver que le monde n’a pas l’intention d’exercer des pressions sur elles tant qu’elles prétendent lutter contre l’extrémisme, tout en approvisionnant les superpuissances en pétrole.

La nation est ainsi réduite à un matérialisme dénué de tout sens. Tant qu’il y aura du pétrole, le monde fermera les yeux si l’Arabie saoudite continue de réprimer la liberté et les droits humains.

Il existe toutefois une exception : ce sont des personnes d’une grande spiritualité qui souffrent beaucoup aux yeux des autres mais qui, en leur for intérieur, débordent de joie et sont heureuses. Elles éprouvent de tels sentiments, car elles sont pleines d’espérance : elles tiennent bon, quelles que soient les épreuves qu’elles doivent endurer. Elles sont soutenues par des militants des droits humains du monde entier, et tirent leur force dans la gentillesse et la solidarité dont ces militants font preuve à leur égard. Après avoir été menacée d’être emprisonnée lors de son procès, l’une de ces personnes a un jour déclaré au juge présidant le tribunal : « Même en prison, on peut toujours allumer une bougie. »

Abdullah al Hamid se trouve aujourd’hui derrière les barreaux, porté par ces militants qui œuvrent en faveur des droits humains. Ils sont la lumière qui brille dans l’obscurité. Les étoiles sont invisibles le jour ; ces militants ne brillent qu’au plus profond de la nuit. Leur éclat rejaillit sur l’obscurité et l’oppression tandis qu’ils font campagne pour les droits humains, la paix sociale et un plus beau pays, souverain à part entière.

Du jour au lendemain, un État peut se retrouver en proie à de graves conflits. Ces militants peuvent alors devenir vos compagnons de route, qui ne vous abandonnent ni ne vous déçoivent jamais. C’est ainsi que se comportent tous les camarades et les amis, car ce sont des passionnés de la liberté, qui œuvrent en sa faveur tant dans leurs paroles que dans leurs actes.

La liberté se cultive, alimentée par celles et ceux qui ont beaucoup sacrifié et qui ont fait du ciel la seule limite à leur sacrifice. Ils se sont créés un sentiment de paix intérieure qu’eux seuls peuvent comprendre. Et je serai tout là-haut avec eux, même derrière les barreaux. En prison, je n’aurai jamais besoin d’une fenêtre ouverte sur le ciel. Ni d’une porte pour expliquer au monde pourquoi je suis emprisonné. Ce dont j’ai vraiment besoin se trouve dans votre conscience et dans celle de tout esprit libre.

Le monde comptera toujours des esprits libres qui ne se laisseront pas museler par le pétrole !

La photo a été prise par Samar Badawi (l’épouse de Waleed) alors qu’il avait été arrêté pendant quelques heures, à Djedda, en janvier 2014. © DR

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