Le délai que les chefs d’Etat s’étaient accordé au printemps, en différant leur décision sur les futurs objectifs climatiques de l’Europe, a expiré. Jeudi 23 octobre et plus probablement vendredi au petit matin, lors du Sommet organisé à Bruxelles, ils devront trancher et dire s’ils acceptent le « paquet énergie climat 2030 » proposé par la Commission. Celui-ci se résume en trois chiffres : réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990, porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 27 % et améliorer l’efficacité énergétique de 30 % d’ici à 2030 également. Ces objectifs doivent permettre de prolonger la politique actuelle, qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à la fin de la décennie.
Alors qu’en coulisses, les sherpas des chefs d’Etat s’activent avec les équipes du président du Conseil, Herman Van Rompuy, pour tenter de surmonter les divergences, le spectacle offert par les Vingt-Huit au cours des dernières semaines reste celui d’une profonde division. On serait bien en peine de trouver deux pays affichant une position commune sur les principaux volets de la négociation. Y compris parmi les pays les plus volontaristes en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni plaident pour qu’un objectif « d’au moins 40 % » soit inscrit dans l’accord afin de laisser la porte ouverte à un chiffre plus ambitieux dans la perspective de la négociation internationale sur le climat qui doit aboutir à Paris en 2015. Dans le même temps, Londres ne veut pas entendre parler d’efficacité énergétique, ni d’objectif contraignant d’énergie renouvelable quand Berlin le réclame. Mardi soir, un des émissaires présidentiels résumait ainsi la situation : « Nous avons arrêté de parler du 40 %, il ne sera acquis que lorsqu’on aura un accord complet sur les autres sujets. »
un débat complexe
Trop rapidement ramené à une bagarre entre les « méchants » – les ex-pays de l’Est qui fonctionnent au charbon polluant et ne veulent pas l’abandonner – et les « bons » convaincus des bienfaits de la transition énergétique, le débat européen est en réalité beaucoup plus complexe que cela. Même s’il est vrai qu’en menaçant de mettre un veto à un accord qui irait contre les intérêts de la Pologne, la première ministre Ewa Kopacz n’a pas vraiment amélioré la réputation de son pays.
« L’Europe doute, et c’est un problème pour tous ceux qui la regardent et à qui elle demande de prendre leur part du fardeau dans la lutte contre le changement climatique », observe Teresa Ribera, l’ancienne secrétaire d’Etat espagnole aux changements climatiques et actuelle directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les Vingt-Huit sont les premiers à s’être dotés d’objectifs climatiques contraignants en 2009 et revendiquent toujours leur exemplarité pour faire pression sur leurs partenaires. « Il ne s’agit pas seulement de l’Europe et de ses choix pour elle-même, confirme la commissaire à l’action pour le climat, Connie Hedegaard. Il s’agit de maintenir une dynamique. Comment l’Europe pourrait-elle faire davantage pression sur les autres pays qu’en adoptant dès maintenant ses objectifs pour 2030 ? »
Pour convaincre les chefs d’Etat de franchir ce nouveau pas, la Commission plaide avant tout que cet agenda climatique « ambitieux mais réalisable » est bon pour l’économie européenne, ses emplois et sa sécurité énergétique. La poursuite des politiques actuelles conduirait à une baisse des émissions de 32 % en 2030, a -t-elle calculé pour démontrer que l’effort supplémentaire à fournir n’est pas si considérable. Mardi, elle a reçu le soutien d’éminents économistes, dont le français Thomas Piketty, qui, dans une lettre, demandent aux chefs d’Etat de saisir « cette occasion de réorienter les investissements vers une économie décarbornée ».
La facture des importations de pétrole et de gaz s’élève chaque année à 400 milliards d’euros, dont 140 milliards au bénéfice de la seule Russie. La crise ukrainienne a rendu cette question de la dépendance énergétique de l’Europe beaucoup plus sensible. Bruxelles a ainsi calculé que réaliser 1 % d’économie d’énergie permettrait de réduire de 2,6 % les importations de gaz, et l’objectif de 30 % de baisser cette facture de 53 milliards d’euros.
Délicat équilibre à trouver d’ici à vendredi
Dilemme : « Les économies d’énergie que l’Europe peut réaliser le plus facilement se trouvent dans les pays les moins riches. Il faut donc trouver un mécanisme de solidarité qui satisfasse tout le monde », résume Mme Hedegaard. C’est ce délicat équilibre qu’il s’agit de finaliser d’ici à vendredi. Pour les aider à financer leur transition énergétique, les pays les plus pauvres devraient percevoir 10 % du revenu des quotas de CO2 mis aux enchères dans le cadre du marché carbone européen. Un fonds de modernisation, alimenté par 2 % des quotas, semble également acquis, mais il restait encore à clarifier le niveau de revenus par habitant à partir duquel ce fonds serait accessible – 60 %, 75 %, 90 % de la moyenne européenne ?
L’option la plus généreuse permettrait à des pays du sud de l’Europe comme la Grèce d’en bénéficier. Les pays riches qui seront mis à contribution réclament toutefois un contrôle plus strict de l’utilisation des fonds. La Pologne, qui, au cours des dernières années, a largement bénéficié des transferts financiers au titre de la politique climatique, ne s’est, par exemple, pas attaquée à la réforme de son écrasant secteur du charbon qui continue à fournir 80 % de son électricité. Quelle que soit la recette finale sur laquelle les Vingt-Huit pourraient se mettre d’accord, elle ne permettra pas à chacun de repartir avec une feuille de route précise. Le partage exact du fardeau, notamment sur les secteurs non couverts par le marché carbone, fera l’objet de discussions ultérieures.
Laurence Caramel
Journaliste au Monde