Le procès de la catastrophe Xynthia, du nom de cette tempête qui tua 29 personnes à la Faute-sur-Mer le 28 février 2010, en est à sa quatrième semaine.
L'impression est curieuse: debout derrière la barre surdimensionnée de l'annexe du tribunal des Sables d'Olonnes aménagé dans un centre de congrès, l'ancien maire de La Faute-sur-Mer, René Marratier, semble tout rabougri, en dépit de sa carrure de garagiste dur au mal. C'est dans la posture d'un enfant interrogé par le maître sévère qui aurait repéré le cancre et voudrait que toute la classe fustige à son tour sa désinvolture, que le prévenu tente de répondre aux questions du président.
Le procès de la catastrophe Xynthia, du nom de cette tempête qui tua 29 personnes dans une petite commune vendéenne le 28 février 2010, en est à sa quatrième semaine. Le moment est venu de demander une dernière fois aux quatre prévenus principalement poursuivis pour homicides involontaires - le cinquième, Patrick Maslin, a succombé à un cancer foudroyant - de préciser leurs positions.
Le maître et l'élève, donc. À l'estrade, le président Almy, dont les questions sont longues comme des jours sans pain, de sorte que lorsqu'elles s'achèvent, ponctuées de peu toniques «hein», nul ne sait plus comment elles ont commencé: le magistrat donne l'impression de s'être fait son idée du dossier, et d'attendre des réponses précises dont il connaîtrait souvent, par avance, le contenu. Au micro, M. Marratier: ce taiseux, parce qu'il est bien obligé de parler, s'exprime dans un sabir mi-administratif mi-évasif, et il est bien en peine de contrer la charge implacable et lancinante.
Mesurer la «culture du risque»
Le président veut, ce lundi, mesurer la «culture du risque» telle qu'elle était prise en compte à la mairie de La Faute. Apparemment, cette culture ne faisait guère partie des priorités: à en croire l'accusation, il n'y avait pas d'information de la population digne de ce nom, pas de plan d'urgence à actionner en cas d'inondation et ce, malgré des mises en demeure répétées de la préfecture. L'on semblait davantage intéressé par la lucrative expansion des lotissements, y compris ceux qui se situaient dans la «cuvette» noyée en 2010 par l'Atlantique démonté. Face à ces carences, l'ancien maire oppose la stratégie du petit chose, celui qui ne décolle pas de son «humble niveau». Après avoir fait, comme la semaine dernière, acte de contrition à destination des parties civiles, il déclare: «J'avais sûrement un manquement lié à une mauvais approche, eu égard que, dans nos petites collectivités, il y a des masses de travaux à gérer. Mais j'ai essayé de gérer l'intérêt général des populations pour trouver le bien-être et la sécurité».
Le président rappelle (cela n'en finit pas) que la préfecture n'avait pas été avare de rappels à la loi, enjoignant l'élu et son équipe de mettre sur pied, outre une véritable information de leurs administrés, des plans de prévention et d'évacuation d'urgence. Le prévenu, cramponné à son rôle de corniaud: «Nous n'avons jamais été réellement informés des mesures à prendre. Je n'ai pas la culture et l'intelligence personnelles pour diagnostiquer une telle situation. D'autres maires trouvaient aussi ces dossiers lourds à gérer, cela n'entrait pas dans notre philosophie intellectuelle». Notons que le petit chose, à son «humble niveau», a été quatre fois réélu à la tête de sa commune, et qu'aux dernières élections, il a frôlé le cinquième sacre - il reste d'ailleurs chef de l'opposition au conseil municipal.
Le président pose ses questions, le prévenu livre ses réponses. Au bout d'une heure et demie, le premier demande: «Qu'est-ce que l'État aurait dû faire de plus pour vous sensibiliser aux risques de submersion? Il ne peut pas se substituer à la commune, hein, sur ce point...»
M. Marratier: «Ben... je pense... apporter son aide. Pourquoi laissait-il la maîtrise d'œuvre à une petite commune qui n'avait pas de moyens? Pourquoi ne pas envoyer des courriers: “Messieurs les maires, on en a marre”? À un moment, faut qu'on arrive à la chose, quoi, qu'on arrête de jouer: il faut faire».
Un constat de surplace
En fin d'après-midi, le choc de deux philosophies intellectuelles inconciliables ne peut que conduire à un constat de surplace. Le président Almy vient de relire les déclarations des membres du conseil municipal: aucun ne se souvient de débats sur les risques liés aux éléments - selon plusieurs témoignages, M. Marratier avait de l'exercice du pouvoir une conception assez personnelle qui lui valait le surnom de «roi René».
L'ancien maire proteste et affirme qu'il y a eu des échanges à ce sujet: «ça me paraît très surprenant».
Le président: «Nous restons avec notre mystère. Le tribunal aime bien les choses rationnelles, explicables. Là, on a une espèce de silence, ça provoque mon incompréhension».
Il y a deux semaines, le tribunal s'était déplacé sur les lieux de la catastrophe naturelle. La déambulation à travers le cimetière à ciel ouvert peuplé de saules pleureurs opposait à ce silence de prétoire celui, glaçant, des 29 destinées fracassées.