Le blog de Yannick LE MOING

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Chronique. Le climat, les mots et les choses

Publié par FNH sur 16 Décembre 2014, 16:25pm

Catégories : #Société et Environnement

Par Nicolas Hulot, Président de la Fondation pour la Nature et l'Homme, Dominique Bourg, Vice-président de la Fondation Nicolas Hulot & Michel Badré, ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts

Alors même que les voix climato-sceptiques s'éloignent, qu'il n'est plus tout à fait impossible aux USA de se déclarer Républicain et d'admettre le problème climatique, force est cependant de constater le traitement baroque que nous réservons à cette question. Il nous semble d'autant plus urgent de dénoncer nos habitudes, que nous abordons avec la fin de la COP 20 à Lima, l'ultime chemin qui devrait nous conduire à un accord contraignant sur le climat en décembre 2015, à Paris.

La façon même dont nous parlons du climat et des objectifs du processus de négociation en cours laisse perplexe, tant en termes de pédagogie, d'information dispensée au public, que de disposition d'esprit.

En premier lieu, les mots auxquels nous recourons sont pour le moins décalés. Le terme international et officiel ramassant nos objectifs en matière d'émissions de CO2 est « mitigation », que l'on traduit par atténuation, et non réduction.

Ce mot a l'avantage d'être rigoureusement adéquat à ce que nous avons réussi à faire jusqu'à maintenant, mais nullement aux objectifs affichés par le GIEC dans son cinquième rapport, à savoir une réduction de 40 à 70 % des émissions mondiales entre 2012 et 2050, et des émissions nulles à la fin du siècle.

On continue par ailleurs de mettre en avant l'objectif des 2° à ne pas dépasser d'ici à la fin du siècle, alors que les engagements pris ou non depuis l'échec de Copenhague nous conduisent sur une trajectoire située entre 3 et 4°.

Pour avoir de bonnes chances de ne pas dépasser les 2°, il conviendrait, à partir de 2021, commencement de la nouvelle période d'engagements sur laquelle devrait déboucher Paris, de baisser les émissions mondiales annuellement de grosso modo 5 %.

Ce qui signifie un taux plus exigeant encore pour les anciens pays industriels ou la Chine. Impossible. Il serait plus honnête de reconnaître la voie dangereuse sur laquelle nous sommes déjà, et d'afficher comme objectif de s'éloigner le moins possible de ces 2°.

On suggère parfois qu'il y aurait une forme d'alternative entre la réduction de nos émissions dès maintenant et l'adaptation future au changement en cours.

Or, tel n'est nullement le cas. Même si la réduction des émissions permettait de limiter la hausse de température à 2° en 2100, l'inertie du système climatique rendrait indispensable l'adaptation bien avant cette échéance. Et les besoins d'adaptation seront proportionnellement plus coûteux dans les pays les plus pauvres, et les parties les plus pauvres des pays riches : comme la réduction des émissions, l'adaptation est un enjeu social et géopolitique urgent. L'efficience de l'adaptation est toutefois conditionnée par nos efforts de réduction.

Un euphémisme sournois est l'expression de « crise climatique », ou même de « crise écologique ». Qui dit crise, suggère en effet un retour au calme après ladite crise. L'effet potentiellement trompeur de donner systématiquement des estimations de la hausse moyenne de la température en fin de siècle, à partir d'objectifs d'émissions de CO2 en 2050, et pas au-delà, renforce cette illusion.

La Terre continuera en effet à tourner au-delà du 21ème siècle. Mais même en l'absence de toute émission nouvelle à la fin du siècle, l'inertie climatique maintiendra des températures plus élevées que celles que nous connaîtrons alors.

Et ce ne sont pas seulement nos habitudes lexicales qui sont perverses, mais nos habitudes tout court.

Nous en sommes en France à notre troisième loi-énergie. Nous affichons officiellement un objectif de division par 4 de nos émissions entre 1990 et 2050 : c'est l'objectif du « facteur 4 ».

Un récent engagement communautaire a, lui, fixé à 40% la baisse des émissions à atteindre de 1990 à 2030. C'est effectivement impressionnant. Mais quid dans les faits ?

Force est d'abord de constater la faible cohérence de nos politiques publiques : de très grands projets ou programmes français comme le réseau de transport « Grand Paris Express », le Lyon-Turin, ou les lignes à grande vitesse en projet n'entrainent, toutes choses égales par ailleurs, que des réductions d'émissions symboliques à cette échéance : même si aucun d'entre eux ne peut être tenu responsable à lui seul de l'atteinte d'un objectif aussi ambitieux, on peut s'inquiéter de voir ces grands projets n'y contribuer en rien.

On observera aussi que la tendance de réduction des émissions françaises de 1990 à 2012 a été d'environ 0,5% par an (en grande partie grâce à la crise et aux délocalisations industrielles : on a beaucoup exporté nos émissions !).

Pour atteindre le niveau d'ambition communautaire des -40% en 2030, il faudra passer à 1,5% par an, donc à peu près tripler le rythme. Pour atteindre le facteur 4 en 2050, il faudra ensuite passer à 4,5% par an : encore trois fois plus !

Peut-on ainsi repousser l'effort devant nous ?

Enfin, dénonçons quelques préjugés tenaces :

Non les écologistes ne bloquent pas tous les projets d'aménagement en France : il se fait tous les ans environ 500 projets d'infrastructures de l'importance de celle de Sivens sans que personne n'en parle.

Non, l'invocation du principe de précaution n'a empêché la réalisation d'aucun projet d'infrastructure nouvelle depuis 2005.

Non, évaluer la rentabilité des investissements publics avec des taux d'actualisation de 4%, donnant 10 fois moins d'importance à ce qui se passera dans 60 ans qu'à notre bien-être actuel, ne mérite pas le qualificatif de « durable ».

Oui, la réduction des émissions et l'adaptation climatique sont des urgences, qui exigent de la solidarité.

Il est important que nous réapprenions, autant que possible, à parler droit !

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