Climat : un projet d’accord sur la table des négociateurs
LE MONDE - Par Simon ROGER
C’est une étape décisive sur la route de la COP21, la conférence sur le climat organisée en décembre à Paris, qui a été franchie. Les deux coprésidents des débats, Ahmed Djoghlaf et Dan Reifsnyder, ont publié lundi 5 octobre un projet d’accord, un texte de vingt pages. Rendue publique par le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la nouvelle version de travail esquisse pour la première fois un cadre pour sceller un accord entre les 195 Etats membres de la Convention et contenir à 2 0C la hausse des températures terrestres.
C’est aussi le deuxième signal fort envoyé par la CCNUCC depuis début octobre. Jeudi 1er au soir, l’instance onusienne avait dressé un premier bilan des engagements des pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux effets du réchauffement. A deux mois de la conférence de Paris, 146 Etats, représentant près de 87 % des émissions mondiales, ont remis leur contribution aux Nations unies. Si l’addition ne suffit pas pour le moment à laisser la planète sous la barre de 2 0C et n’intègre pas plusieurs pays producteurs de pétrole (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Iran, Koweït, Nigeria, Oman, Qatar, Venezuela), elle offre une photographie relativement nette des scénarios nationaux envisagés pour le climat.
Un nouveau schéma
Mercredi 7 octobre, un autre élément de clarification est attendu. Un rapport commandé à l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’occasion de l’assemblée d’automne des institutions financières internationales, à Lima, doit faire le point sur l’engagement pris par les pays développés à la COP de Copenhague en 2009 : mobiliser 100 milliards de dollars par an, à l’horizon 2020, en direction des pays en développement.
En attendant cet « instantané » des financements Nord-Sud, c’est donc un nouveau schéma que les deux coprésidents (ou « cochairs ») posent sur la table de négociations. Le document, qui n’a pas de valeur juridique, mais constitue une base de réflexion – un « non paper », selon le vocable onusien – s’articule en une série de trois textes, un projet d’accord de 20 pages pour la COP21, un projet de décisions de trois pages couvrant la période pré-2020 et une note de scénario précisant la méthode de travail choisie.
Une authentique prouesse pour qui se souvient des versions précédentes. En dépit de plusieurs cures d’amaigrissement, le texte de référence, adopté en février à Genève, dépassait toujours 80 pages dans la version revue et corrigée publiée en juillet. Mission avait alors été donnée aux coprésidents, lors de la semaine de négociations de Bonn en septembre, de préparer une copie plus concise pour début octobre.
Divisé par quatre et allégé de certaines options, il devient une base de discussions « gérable » à un moment-clé des négociations, puisqu’une ultime session de négociations démarre à Bonn, du 19 au 23 octobre. « Les “cochairs” sont parvenus à faire le saut qualitatif dont nous avons besoin pour la suite des négociations, considère Thomas Spencer, directeur de programme énergie et climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). C’est, certes au dernier moment, mais c’est un véritable changement de paradigme. »
« Stratégie des petits pas »
« Le non-papier rendu le 5 octobre fait partie intégrante de notre stratégie des petits pas, assure le coprésident algérien Ahmed Djoghlaf, qui précise que 34 réunions bilatérales se sont succédé en septembre pour rendre possible cette version resserrée. Après la compilation des positions de Genève, le nettoyage du texte de juin et la compilation améliorée de septembre, ce texte est la base de négociation qui permettra de faire un autre pas vers la bonne direction. »
« Les “cochairs” ont trouvé un assez bon équilibre entre les positions différentes des parties », estime Thomas Spencer, citant l’exemple des « pertes et dommages », les coûts engendrés par des événements extrêmes comme les ouragans, une revendication des pays en développement, intégrée dans le projet d’accord en dépit de l’hostilité des pays développés.
« D’autres sujets sont abordés avec une moindre ambition, reconnaît tout de même le chercheur de l’Iddri. L’article sur le financement ne dit rien de précis sur la mobilisation des 100 milliards de dollars promis. Le texte ne va pas assez loin sur les systèmes d’alerte, pourtant essentiels pour tirer le signal d’alarme si les pays ne respectent pas leurs engagements. »
Les ingrédients d’un accord durable sont présents dans le document, mais souvent à l’état de fragments mal assemblés, estiment plusieurs ONG. L’objectif de long terme de réduction des gaz à effet de serre ne renvoie à aucune date précise, et aucune mention n’est faite des énergies renouvelables dans les 20 pages du document. « Si l’enjeu est d’enclencher une transition énergétique globale alors que les énergies renouvelables ne figurent pas dans le texte, il y a un sérieux problème ! », ironise Alix Mazounie, chargée des politiques internationales au Réseau action climat.
La question de la sécurité alimentaire, présente dans des versions antérieures, a disparu du texte. Une mauvaise nouvelle pour Peggy Pascal, d’Action contre la faim, « alors que l’on vient de voter à l’ONU les objectifs pour éradiquer la faim dans le monde à l’horizon 2030 ». En dépit de certaines faiblesses, « ce texte va permettre d’enclencher des négociations de haut niveau et de relever le niveau d’ambition », préfère retenir Pierre Cannet, responsable du programme climat et énergie au WWF.